C’est quoi la « Glottophobie » et comment la combattre?

La "Glottophobie" est composée de "Glotta" qui veut dire langue et "Phobia"peur. Appelée aussi la discrimination linguistique, elle est ...

 

La glottophobie est un terme qui a émergé tardivement alors que sa présence est très ancienne. Ce néologisme est une contraction des racines latines glôssa soit “langue” et -phobia qui relève de la peur, de l’effroi et du rejet. Ainsi la glossophobie rejette des personnes sur des critères de langage. Elle discrimine les personnes avec un accent dit minoritaire, des personnes parlant des langues considérées comme inférieures par un groupe. La glossophobie attaque d’abord les personnes en utilisant leur particularité linguistique.

Elle touche aujourd’hui le monde entier et tout type de population. Cette injustice n’est pas à prendre à la légère puisqu’elle met de côté des personnes mais va parfois jusqu’à menaces des langues et des accents.

 

Qu’est-ce la Glottophobie?

 

C’est le sociolinguistique Philippe Blanchet qui a forgé ce concept et a fait émerger le terme “glossophobie” à travers ses recherches. La glossophobie a été nommée ainsi par le chercheur dès 1998. Ce professeur à l’Université de Rennes a publié en 2016 le livre Discriminations : combattre la glottophobie et a permis de mettre davantage en avant ce mal.

Depuis il est régulièrement invité par les médias pour analyser la glottophobie et prodiguer des conseils pour lutter contre cette forme de discrimination.

 

 

 

« La glottophobie est le “mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques.”

La glottophobie est pratiquée à différents niveaux. Elle part d’une simple moquerie au sujet d’un accent pour signifier qu’il n’est pas le bienvenu comme de l’exclusion linguistique de langues et dialectes.

La glottophobie peut exclure des personnes en raison d’un accent qui peut être un marqueur régional comme en France où l’on moque souvent les accents du sud. Mais aussi un marqueur social, quand un accent dit “artistocrate” se voudra dominant vis-à-vis d’un accent dit “de banlieue”, par exemple.

La glottophobie vise clairement à poser des frontières et à dominer des personnes en raison de leur accent. Pour Philippe Blanchet il s’agit d’un critère d’exclusion au même titre que la couleur de la peau ou l’origine ethnique.

Cette petite vidéo résume très bien ce qu’implique la glottophobie :

 

 

L’histoire marquée par discrimination linguistique

 

La glottophobie n’est pas un concept nouveau mais une idéologie bien ancrée dans l’histoire française. La France était initialement un pays composé de régions à l’identité forte. Il n’existait pas seulement un terroir régional mais aussi des langues régionales prédominantes.

Pour le sociolinguiste Philippe Blanchet, cette exclusion linguistique a démarré en France dès le XVIIe siècle. Il estime qu’à cette période une élite a développé la langue française pour se démarquer du latin, la langue de l’Eglise. Il ajoute que le français qui est devenue aujourd’hui notre langue nationale au détriment des dialectes régionaux a été élaboré de manière complexe pour exclure le plus possible le peuple et la rendre élitiste.

Mais déjà en 1539, L’ordonnance de Villers-Cotterêts a établi, malgré la diversité linguistique, le français comme langue officielle de l’administration française. Les langues régionales ont alors été placées au second rang et sans statut officiel.

La France n’est pas la seule à avoir établi une politique linguistique glottophobe. De nombreuses nations se sont établies sur une exclusion de groupes sur la base linguistique. L’Espagne a imposé le castillan comme langue nationale délaissant ainsi les langues régionales comme le basque, le galicien ou le catalan.

Des pays comme l’Irlande ou l’Ecosse ont laissé de côté les langues gaéliques au profit de l’anglais. Au moment de son indépendance, en 1962, l’Algérie a imposé une arabisation forcée de sa société, négligeant les autres langues du territoire comme l’amazigh parlée dans plusieurs zones du pays.

Cette notion de glottophobie est d’ailleurs étudiée dans d’autres pays. au Québec, où la défense de la francophonie est très importante, on évoque la glottophobie sous forme de “linguisme”. Au Brésil, on évoque le “préjugé linguistique”. C’est le chercheur Marcos Bagno qui a interrogé cette forme d’exclusion, notamment en étudiant comment le portugais a été imposé au Brésil pour dominer plusieurs groupes sociaux.

 

Des exemples contemporains de discrimination linguistique

 

L’histoire est parsemée d’exemples de glottophobie. Malheureusement parfois cette discrimination a un effet dévastateur sur des communautés et des pans entiers de cultures.

L’Espagne qui aujourd’hui tente de laisser davantage de place aux langues régionales a vécu une interdiction du catalan sous la dictature de Franco. Cette interdiction a effacé un temps du paysage espagnol toute une culture catalane qui devait être cachée. C’est pourquoi aujourd’hui la Catalogne revendique fièrement sa langue et la culture qui en découle.

En Chine, le peuple ouïghour a été forcé de mettre de côté sa langue au profit du chinois. Depuis les années 90, cette communauté ne peut s’exprimer librement en langue ouïghoure.

La France elle-même, a entretenu une discrimination linguistique. On connait les récit d’écoliers bretons constamment punis pour avoir prononcé des mots bretons à l’école où le français était la seule langue tolérée.

 

Ces langues opprimées dans le monde

 

La discrimination linguistique n’appartient pas seulement au passé mais reste très actuelle. Les exemples contemporains de glottophobie sont encore très nombreux. L’Unesco alerte régulièrement sur la disparition de langues minoritaires suite à une longue période de discrimination. L’institution culturelle met régulièrement à jour son Atlas des langues en danger dans le monde pour rappeler qu’il est important de protéger tous les langages.

Qu’est-ce qu’une langue opprimée et quelles conséquences peuvent avoir des discriminations répétées ?

On peut prendre l’exemple de la langue bétinée parlée en Côte-d’Ivoire. Cette langue a été interdite à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les Agnis, une grande tribu a dominé et contraint les Bétibés à abandonner leur langue. Ce n’est que depuis les années 2000 que ce peuple tente de faire à nouveau émerger cette langue qui a failli disparaître à tout jamais.

Les Kurdes de Turquie ont également dépossédés de leur langue au profit du turc. Ce peuple a été persécuté dès la fin de l’Empire Ottoman jusqu’au début du 20e siècle. Une politique forcée d’assimilation de la culture turque a été pratiquée, jusqu’à arriver à une persécution sans relâche.

D’après l’Unesco près de 2500 langues sont en danger et risquent de disparaître.

 

La discrimination des accents

 

 

Les accents sont aussi très souvent pointés du doigt dans ce qu’on appelle la glottophobie. Avez-vous remarqué que dans les médias audiovisuels, il est très rare d’entendre un accent régional ? Le monde du divertissement et de l’information tente tout pour gommer les accents. On veut un français lisse qui ressemblerait à celui qui se pratique à Paris intramuros.

Dès les écoles de journalisme, les journalistes en herbe doivent travailler leur voix pour la poser au mieux et effacer tout accent que l’on pourrait distinguer.

Sur Linkedin plusieurs posts révèlent des témoignages de candidats exclus par des recruteurs à cause de leur accent régional trop marqué. Une exclusion non pas à cause d’un manque de compétence mais seulement à cause de sonorités qui déplaisent. On leur reproche un accent qui ne fait pas “sérieux” ou pourrait être “incompris” par le reste de l’équipe ou par les clients.

Ce type de discrimination n’épargne personne en France. “Cela touche aussi les enseignants, les vendeurs, les hôtesses de l’air ou encore les avocats !”, expliqué Philippe Blanchet au site Welcome To The Jungle.

Les moqueries sur les accents étrangers sont aussi une forme discrimination. Les critiques sur les accents d’Asie, d’Afrique ou du monde arabe sont les plus fréquentes. Le fait que certaines origines soient plus ciblées que d’autres, montre une certaine condescendance à l’égard des populations originaires de pays situés dans ces zones géographiques.

 

 

Les inégalités linguistiques en France

 

La France n’échappe pas à la glottophobie. Il y a clairement des inégalités entre les langues, les accents et les dialectes. On ne considère pas tous les langues au même niveau.

Par exemple s’il est bien vu de parler anglais dans l’espace public ou professionnel, la langue arabe est quant à elle décriée, alors que la France compte plusieurs bilingues arabophones sur son territoire.

Autre problème : l’accès à la langue est inégal en France. Il varie en fonction des classes sociales. La langue en France est un marqueur social et très vite la non-maîtrise du français peut devenir excluante. Or c’est à l’origine du mal qu’il faut s’intéresser. Pourquoi en France les niveaux de langue connaissent-ils des disparités en fonction du lieu de vie ou de la classe sociale à laquelle on appartient ?

“10% des enfants qui entrent au cours préparatoire disposent de moins de 500 mots, au lieu de 1 200 en moyenne pour les autres”, estime Alain Bentolila, professeur linguiste à l’université Paris V dans une interview accordée à l’Express.

Ces inégalités accentuent le phénomène de domination des classes sociales hautes sur les plus précaires.

 

Comment lutter contre la glottophobie?

 

 

La glottophobie n’est pas totalement admise, elle représente donc un combat au quotidien. Pour lutter contre cette forme de discrimination plusieurs armes ont été proposées.

  • Intégrer la lutte contre la discrimination linguistique dans la loi

Reconnaître socialement la glottophobie est une première étape, mais légalement peut-elle être condamnée au même titre que des discriminations raciales ou sexuelles ? En 2020, l’Assemblée Nationale a voté pour un projet de loi visant à punir la discrimination linguistique en raison d’un accent. Le code pénal et le code du travail prend désormais en compte ce type d’exclusion basée sur un critère linguistique.

  • Promouvoir la diversité culturelle

Tous les pays ont une grande variété de langues, dialectes et accents. En intégrant cette réalité dans l’éducation des plus jeunes, plutôt que de lisser les accents et de punir l’utilisation d’une autre langue à l’école, la glottophobie pourra reculer.

  • Diversifier les voix dans les secteurs médiatiques

Pour refléter une société diversifiée, les médias et acteurs publiques sont des modèles. En intégrant davantage de personnes avec des accents, l’oreille des auditeurs et des téléspectateurs s’habituera à la variété. De même pour dans des arts comme le cinéma ou encore la musique.

La glottophobie est une réalité qui s’est ancrée dans nos sociétés. En France tout d’abord, nous avons normalisé la classification des bons ou des mauvais accents. La langue mais aussi la façon de la communiquer porte toute la personnalité d’un individu, vouloir gommer ses particularités c’est aussi effacer son histoire et celle de son héritage personnel. La diversité linguistique est pourtant à l’image des évolutions des sociétés.

Chaque année l’Académie Française admet de nouveaux mots dans la langue françaises, souvent empruntés à des langues étrangères fortement parlées en France et incorporés au quotidien. Preuve qu’une langue n’est pas figée et n’est pas cadrée.

 

 

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